banniere Agnes Art
 

~ COLONIA DIGNIDAD ~ 


 

 

LA CONDAMNATION

Ca tanguait, ça roulait.
On entendait le bruit du moteur du camion, les changements de vitesse, les accélérations, les freinages.
Il régnait une chaleur lourde, étouffante dans la citerne où nous étions toutes deux enfermées.
Cela puait. Nos odeurs corporelles se mêlaient à des relents de gazole et de vieille rouille.
Les cahots nous jetaient l'une sur l'autre, nous cognaient contre les parois, nous arrachant à chaque fois des gémissements.
J'avais mal partout et j'étais trempée de sueur.
J'ouvrais, je fermais mes cuisses pour soulager mon sexe torturé. A chaque inspiration la pince s'incrustait davantage dans mon mamelon. Mais c'était surtout mes mains. Mes poignets garrottés sévèrement me brûlaient et je ne pouvais plus bouger les doigts.
Je m'y efforçai pourtant. Et peu à peu j'y arrivai. En gémissant.
Mes cheveux collaient à mon visage, à mes yeux, me faisaient pleurer et j'essayais parfois de les chasser en soufflant, en les poussant avec mes genoux. Sans grand résultat.
Le spectre de l'avenir hantait mon esprit.
Nous avions parlé la femme et moi. Un peu.
Mais nous étions trop épouvantées pour échanger autre chose que des banalités.
Un silence soudain !
Des voix assourdies.
- … les terroristes ! Exposez les sur la Place des Châtiments. Elles seront jugées ce soir en tribunal public…
Nous fumes précipitées en arrière quand le camion redémarra. Puis vers l'avant quand il freina.
Un temps. Un silence.
Des mouvements. Un choc métallique là-haut.
Le soleil qui pénétrait soudain la citerne m'aveugla.


- Passez votre cou dans les cordes. Schnell !
Nous hésitâmes, la peur nous paralysant.
- Oh les putains… Pardon ma sœur. Grouillez. Il y a une lance d'arrosage et je remplis la citerne si vous ne bougez pas votre cul.
Nous obéîmes. C'était difficile, la corde se dérobait mais j'y arrivai.
- Vas-y Karl. Hisse-moi ça.
J'eus le temps de prendre une grande respiration avant que le nœud ne se resserre, que la corde ne me soulève en m'étranglant.

Le soleil commençait à baisser, à rougeoyer.
J'étais au-delà de l'épuisement. La peau me brûlait d'être restée ainsi toute la journée, en plein soleil. J'avais la gorge comme du cuir et je ne distinguais plus que de vagues formes floues à travers la sueur, le sel, les larmes qui brouillaient ma vue. Ils nous avaient lavées au jet, arrosées régulièrement. J'avais réussi à laper quelques gouttes d'eau mais cela n'avait été que bien peu pour calmer les ardeurs du soleil, pour apaiser la soif qui parcheminait ma bouche.
Après nous avoir extraites de la citerne, ils nous avaient hissées, toujours par le cou, sur ces tréteaux étroits. Ils avaient tendu la corde nous juchant au plus haut, sur le bout des doigts de pieds, suspendues par le cou et par ce nœud coulant qui entravait notre respiration sifflante.
J'avais glissé plusieurs fois (avec peut-être inconsciemment le désespoir d'en finir une fois pour toutes) mais un garde était là.

Qui m'avait remise en position à coups de matraque sur les mollets.

Le soleil avait disparu. L'obscurité, le vent du soir nous apportaient quelque fraîcheur.
Il y eut des mouvements, des murmures, des bruissements.
Des projecteurs illuminèrent soudain le gibet et nos corps suppliciés.

Je sursautai quand la lumière m'éblouit mais j'aperçus des gens alignés devant nous.
Des femmes et des hommes en tenue de travail. Puis un personnage en costume de ville s'approcha, s'interposa entre ces gens et nous. Des gardes apparurent, s'immobilisant de part et d'autre de l'échafaud. L'homme saisit un microphone, s'éclaircit la voix :


- Mes amis ! Je sais que vous êtes épuisés mais heureux d'avoir ardemment œuvré pour le bien de notre communauté.

Pourtant ce soir, il nous faut rendre un jugement équitable.

Il nous faut décider si nous accueillons parmi nous ces deux femmes égarées sur la voie du péché.
Le verdict de chacun sera le nôtre.
Celle-ci a gravement péché. Sous la robe de la sainteté, s'est glissé le démon du mensonge et du parricide.Cette créature perdue a œuvré pour assassiné notre père à tous, notre glorieux Président qui se dévoue corps et âme pour notre Patrie. Cette créature a reconnu, sans honte aucune, sa volonté criminelle et sournoise d'abattre notre bien aimé chef.
Qu'en pensez-vous mes amis ? Cette créature peut-elle racheter par le labeur, ses crimes impardonnables ?
Je ne le pense pas mes amis ! Et vous ?
Un grondement parcourut la foule et elle rugit :
- Non !
Soit. Elle paiera donc. Votre jugement est le nôtre et c'est un bon jugement. Mais avant d'appliquer votre sentence, il nous faut décider ce qu'il adviendra de celle-ci. C'est une fille de Jérusalem, une catin juive. Elle voulait calomnier notre bien aimé Président dans un de ces infâmes journaux judéo-communistes. Nous avons pu heureusement mettre fin à son abominable dessein. Cette créature a avoué ses sinistres intentions.
Mes amis ! Cette créature mérite-t-elle de se racheter par le labeur salvateur ? Je le pense mes amis. Et vous aussi mes amis ?
De nouveau ces gens rugirent et il me sembla que le gibet tremblait :
- Oui !
- Mes amis ! Cette pécheresse doit néanmoins être châtiée. Je le pense. Et vous le pensez aussi ?
- Oui !
L'air vibra de nouveau. Ces criminelles dont ils parlaient, c'était moi, c'était nous.
Et l'homme parla de nouveau. La voix amplifiée, terrible, résonnant sur les hauts murs, énonça la sentence. Dieu ! Il parlait de moi.
-Soit. Son crime mérite un triple châtiment. Dès ce soir, mes amis, elle sera flagellée sur la plante des pieds. Afin de lui ôter toute tentation de fuir. Cela est-il un juste premier châtiment ?
- Oui !
Demain matin mes amis, vous punirez la catin qu'elle est en flagellant ses parties honteuses. Ce second châtiment vous semble-t-il juste mes amis ?
- Oui !
Et dès demain soir elle vous servira mes amis. Libre à vous d'utiliser cette catin comme bon vous semble. Mes amis ! Sera-t-elle ainsi justement châtiée ? Je le pense mes amis. Et vous ?
- Oui !
Soit. Votre jugement est le Nôtre. Et c'est un bon jugement.
Mes amis, il est temps maintenant d'appliquer les sentences. Que la criminelle odieuse paie immédiatement.

Le gibet oscilla soudain. La corde vibra horriblement. Je vacillai sur mes jambes épuisées, retrouvai mon équilibre.
Dieu d'Israël, ayez pitié. A la limite de mon champ de vision, je voyais la pauvre femme battre des jambes, chercher le point d'appui qu'elle n'avait plus. Je l'entendais grogner, râler. Des bruits immondes.

Ses soubresauts désordonnés provoquaient un léger courant d'air qui me glaça.

Je me mis à trembler de froid, de peur. Les vibrations du gibet allèrent en décroissant. Peu à peu. Les bruits s'affaiblirent, un liquide coula sur le sable puis ce fut le silence. Terrible. Je pleurais doucement, désespérée.

- Mes amis, la juste sentence a été appliquée et la criminelle a été châtiée à la mesure de ses crimes. Prions mes amis pour son âme perdue.

Un temps. Ils priaient. La pauvre femme tournait doucement sur elle-même.

Je crus qu'elle me regardait. Oh… son regard vide, son visage grimaçant… Je fermais les yeux.


- Bien. Agenouillez la condamnée afin qu'elle reçoive humblement son premier châtiment.
La corde se détendit, je vacillai. Le nœud coulant se resserra alors qu'ils me tirait en arrière. Mes pieds perdirent leur appui, je me sentis descendre. Mais ils me retenaient, guidaient mes cuisses et mes jambes. Mes genoux heurtèrent le bois des tréteaux.

Ils m'agenouillèrent dessus.


Ils s'activèrent sur le nœud coulant, le descendant, le bougeant, le resserrant. J'en ressentais maintenant la rude emprise à la base de mon cou. Ils me garrottaient mais sans m'étrangler.

L'autre extrémité de la corde, passant dans le crochet de l'échaffaud fut attachée à mes poignets


Je vacillais d'avant en arrière, je me penchais, je me redressais cherchant un équilibre précaire entre l'étranglement et ce qui me semblait le déboîtement de mes épaules, quand une voix cria "Derecha" (Droite) .

Un sifflement et le premier coup cisailla mon pied droit. La douleur aiguë me fit soulever le genou et je basculai. La corde me retint, m'étrangla. Je couinai. Les bourreaux me remirent d'aplomb.
- Ne bouge pas putain. Nous ne te rattraperons pas la prochaine fois.
- Senestra.
La badine cingla mon pied gauche.


- Derecha !
La badine cingla mon pied droit.
- Senestra…

"Derecha ! Senestra !" Les coups alternaient sur mon pied droit, sur mon pied gauche.

Malgré la corde qui m'étranglait, je criais.

Combien de temps cela dura-t-il ? Je ne m'en souviens plus. Comme j'ai oublié le nombre de coups.


La corde.
Elle m'étranglait. Encore !
Il me semblait que mes pieds n'existaient plus. Qu'ils avaient été coupés ou arrachés. Seul mon cou garrotté était douleur, brûlure.
Je reprenais conscience peu à peu.
Quelque chose forçait mon anus, s'enfonçait en moi. De plus en plus profond.
On me laissait descendre, on écartait mes cuisses, on me laissait m'empaler.

Je serrai les jambes, tentai de trouver un appui.
Cela mordit mes pieds qui revinrent à la vie. Soudain.
Je lâchai tout : la chose infâme me défonça les reins.
J'essayai de reprendre appui, j'essayai de me soulever. En vain.
La corde me tenait par le cou et les poignets. Les griffes du pal déchiraient les chairs à vif de la plante de mes pieds.

Je m'arquais, le noeud coulant se resserra mais l'enfoncement cessa.
Les gardes m'avait parlé mais je ne les avais pas entendu. Le grondement de l'air qui se frayait un chemin vers mes poumons m'en avait empêchée. Dans le brouillard noir qui engluait mon esprit, je réussis néanmoins à me mettre sur la pointe des pieds. Les clous me blessaient mais cela n'était rien comparé à l'impression d'éventration que je ressentais, au feu qui dévorait ma gorge et ma poitrine.

Ils me laissèrent ainsi le reste de la nuit, comme une volaille embrochée...


Ils me délivrèrent de bon matin, me hissant par le cou, repoussant le pal qui sortit de moi avec un bruit horrible de succion, me laissant tomber sur le sol.

Je restais là, respirant à pleins poumons l'air frais du matin.

Je n'entendais rien, je ne voyais rien, je ne ressentais rien.

J'étais encore vivante.

On me souleva par les bras, on me mit debout et on me tondit.

Qu'importe je vivais.

C'est seulement quand ils eurent attaché mes chevilles, qu'ils m'eurent soulevée la tête en bas, les cuisses écartelées, que je vis approcher une femme brandissant une longue cravache de cuir noir que je sortis de la béatitude dans laquelle je baignais.

Je me souvins alors du jugement...

Je hurlai au premier coup, je hurlai au second, je hurlai, je hurlai.

Comme une damnée, alors que les coups de cravache cisaillaient mon sexe.

J'ai hurlé sans cesse jusqu'à en perdre la voix, jusqu'à ce que l'on me décroche et que l'on me jette dans la benne d'un engin, sur le corps de la religieuse morte.


 

LA CONDAMNATION