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~ OTAGE ~ 

la putain du cargo


Je me souviens à peine du voyage en camion sur les mauvaises pistes d'Irak. Je crois que la chaleur épouvantable qui régnait dans la caisse, l'odeur fétide de mon corps et de ses déjections, l'infernale souffrance des objets qui défonçaient mon anus, ma vagin et ma bouche à chaque cahot, la soif aussi, m'avaient plongée dans une inconscience presque totale.
Je retrouve des souvenirs lorsqu'un léger courant d'air se glissant à travers les planches, des murmures de port, mouettes, sirène de bateau, une vague lueur et un parfum de sel m'éveillèrent. J'essayai de crier, d'appeler au secours mais le membre de caoutchouc qui dilatait mes lèvres bâillonnait toute tentative.
La caisse bougea, tourna, oscilla. Des bruits de machine. Un choc qui me fit gémir.
Un grand claquement sourd comme une trappe qui se referme. Puis l'obscurité.
La mer, un bateau... Je le supposais :
Un lent roulis, des odeurs de mazout, le grondement et les vibrations permanents de la machinerie me donnaient la nausée.
Mais j'avais déjà rendu tout ce que mon corps disloqué pouvait rendre.

Soudain, dans l'état comateux où j'étais cela me surprit, le bâillon me fut ôté.
Mes mâchoires furent prises de tremblements et un jet d'eau m'arrosa le visage.
Je bus, je m'étranglais, je fermais les yeux.
Je bus encore.
Puis une canule força mes lèvres tandis qu'un liquide sirupeux coulait dans ma gorge.
J'aspirais goulûment, je suçais cette canule, la nourriture qui en sortait...encore et encore.
Le membre de caoutchouc envahit de nouveau ma bouche.
J'ai grogné de désespoir. Je me suis débattue ne faisant que me blesser encore plus. 
La caisse a bougé. Les pieux m'ont déchirée, les cordes m'ont cisaillée. Je me suis évanouie.
........

Je me suis réveillée sur un quelque chose de rugueux. C'est la première sensation que j'ai ressentie. J'étais allongé sur un tapis grossier, dans une cabine. La cabine du Capitaine.
"Mange"
Il m'a tendu une tranche de pain. Que j'ai attrapé. Mes poignets étaient menottés. Mais j'ai mangé ce pain en me recroquevillant dans un coin.
"Je transporte des marchandises et j'en suis responsable. Dans cette caisse, tu seras morte bientôt. Je te propose un marché. Fais la putain pour l'équipage et tu auras une cabine pour toi . Tu seras correctement traitée. Pas de sévices. Tu vends ton cul. Point. A destination, dans trois semaines, je te remets en caisse et je livre une marchandise en bon état. En échange, tu me donnes ce que tes fesses rapportent. Qu'en penses tu ? L'animal dans la caisse, mort, ou fille à matelot, vivante ?"
Je frissonnai. Trois semaines de répit. Presque libre. Après ce que j'avais subi, servir de passe-temps à quelques matelots me semblait une délivrance. Et j'allais vivre. Donc espérer.
"J'accepte, Capitaine..."
"Bien. Je te fais conduire à ta cabine. Repose toi, tu en as besoin. Mes hommes ne paieront pas une putain malade.
Paolo, accompagne la. Quand elle sera remise, les hommes pourront prendre du bon temps avec elle. Comment t'appelles-tu ? C'est écrit sur ta médaille... Mais non qu'importe. 
Tu seras Rosy la putain du bateau. Va!

La cabine était sinistre. Sans hublot. Mais, bien qu'enchaînée par la cheville, j'y éprouvais une intense sensation de liberté. 
Enfin seule. Enfin chez moi.
Je me ruais sur la bouteille d'eau, dévorais le contenu d'une boite de conserve (des haricots à la tomate je crois).
Repue, je m'endormis d'un sommeil sans rêve.

 


Dans la journée j'étais tranquille. Je déjeunais d'une boîte, m'occupais de ma toilette. 
Je faisais ce que bon me semblait. Lire les quelques revues que Paolo me donnait, m'assoupir sur le matelas défoncé. Jusqu'au début de soirée.
La nouvelle s'était vite répandue (je crois qu'il y avait un écriteau sur la porte) et dès la fin de l'après-midi les matelots affluèrent. Je leur accordais mes faveurs avec plus ou moins de bonne volonté. Ils me payaient, parfois en se faisant prier, en se moquant gentiment de moi, mais peu à peu je remplissais la vieille boite de conserve qui me servait de sac à main. C'était des hommes rudes et bien que matelots sur ce bateau aux activités en marge de la légalité, ils étaient de braves gens. Bien sur j'étais leur putain, mais ils ne se contentaient pas de me sauter. Il leur arrivait même parfois de me donner du plaisir. 

Le soir, tard, le Capitaine me faisait chercher. Dans sa cabine, il détachait mes poignets menottés (mes mains étaient toujours liées quand je circulais en dehors de ma cabine), me désignait la salle d'eau. Je me douchais, me séchait et me fardait. 
Il aimait les maquillages prononcés. Aussi avais-je souvent l'air d'une prostituée. Ce que j'étais d'ailleurs. Puis il choisissait ma tenue du soir, toujours différente, une perruque aussi. Elle aussi changeait à chaque fois. Pourquoi avait-il tous ces vêtements ? Je ne sais pas. Une sorte de fétichiste peut-être ?
Il me conduisait ensuite au carré des officiers. Il s'affichait homme du monde et avait une table toujours bien garnie. Mais j'étais la putain, aussi devais-je me comporter comme telle. Il présentait mes fesses, mon ventre aux autres officiers, m'imposait de m'asseoir cuisses largement ouvertes.
Il présentait mes fesses, mon ventre aux autres officiers,...
...m'imposait de m'asseoir cuisses largement ouvertes.
 
Le repas terminé nous retournions à sa cabine et je lui offrais mon corps. 
Mon ventre ou ma bouche. Ou les deux. Suivant ses envies.


Pourtant le voyage approchait de sa fin. Et moi de la mienne. Car je ne savais ce qu'il adviendrait "là-bas" mais j'en étais terrorisée.
Je faisais des cauchemars la nuit et je devais avoir l'air vraiment épuisée ce soir là où j'avais été me prostituer dans le carré des hommes d'équipage. J'avais été une vraie chienne avec eux. Une sorte de folie concupiscente m'avait prise et je les avais fait jouir comme jamais. J'avais joui moi aussi comme une malade. Malade de cette terreur qui me rongeait et que j'avais évacuée en me comportant comme la plus putain des putains.

Nous étions repus et les matelots reprenaient des forces en ingurgitant force bières. Ils m'avaient demandé le pourquoi de ma mauvaise mine. Hésitante tout d'abord, j'avais répondu simplement "J'ai peur" en me réfugiant dans les bras de Paolo.
Ils avaient éclaté de rire. Le gros Peter m'avait tout expliqué.
"Mais il n'est pas question de rendre notre petite putain. Pas question de te livrer à ces sauvages. Tu vas rester avec nous sur le bateau. Mais il ne faut rien dire au Capitaine et nous faire confiance. Confiance Kendra." 
Oui Kendra. Ils m'appelaient de mon prénom quand ils étaient entre eux. Jamais devant le Capitaine.


Les machines s'étaient arrêtées. On aboyait des ordres dehors alors que le déchargement des marchandises commençait.
J'en étais une ainsi que me l'avait rappelé le Capitaine. Je me retrouvais devant cette caisse horrible, les mains liées dans le dos (fini les presque confortables menottes). Le Capitaine m'avait prise hier soir comme un sauvage, peut être pour se venger de cette culpabilité qu'il ressentait. Et sans me permettre une douche il m'avait renvoyée dans ma minuscule cabine avec juste ce tee-shirt ridicule qui couvrait à peine ma poitrine. Ordre avait été donné de ne pas me détacher pour la nuit. Je n'avais donc pu me nettoyer et j'étais là, poisseuse, le maquillage ravagé, frissonnant d'une mauvaise sueur et tremblant sur mes jambes qui peinaient à me garder debout. 


Le Capitaine, sans me regarder un seul instant, me laissa au mains de Peter et Paolo en leur précisant :
"Ne serrez pas trop les cordes. Rosy nous a bien servi après tout"

Paolo me fit un clin d'oeil alors que le Capitaine s'éloignait.
"D'accord on garde notre putain avec nous mais faut pas qu'elle se sauve. Ou en profite pour prévenir les flics. 
Alors on va te cacher dans un double compartiment de la cale. Mais bien attachée. 

"Voilà, avec ça tu ne te sauveras pas"


"Et ça pour pas que tu cries"

"Allez Kendra en avant !
Allez la chienne. 
Ouaf Ouaf ! Ah ah!"



"Dépêche toi donc ! "
Paolo m'entraîna ainsi en tirant la chaîne cadenassée à mon anneau de sexe, vers le plus profond du bateau. Le cuistot (je n'ai jamais su son nom, tout le monde l'appelait ainsi, "cuistot") nous attendait devant une plaque de tôle qu'il avait déboulonnée.
Paolo me poussa dans le trou sombre.

"Rentre là-dedans Kendra" dit-il en me flattant l'entrecuisse.
"Ah ah, le Capitaine t'a bien ramoné hier soir"

Il cadenassa la chaîne à un plot d'amarrage ou je ne sais quoi et ligota soigneusement mes chevilles.
Je m'allongeai comme je pus dans le réduit et avant qu'ils ne reboulonnent la tôle, Paolo me fit encore un chut.

"N'ai pas peur, tu vas entendre beaucoup de bruits tout à l'heure, la caisse va tomber du mauvais côté du bateau. Dans le bassin.
Les sauvages ne te chercheront pas.Ils te croiront noyée et ne voudront pas courir le risque de faire rechercher la caisse. Donc tranquille. On appareille demain à la marée. Ne t'impatiente pas. Et ne te sauve pas ... Ha ha ha ! "

La plaque de tôle retomba sur le trou et je me retrouvais dans l'obscurité. Je les entendis qui serraient les écrous. Puis leurs pas qui s'éloignaient... 
Je me redressai. A peine car la chaîne me blessa le sexe. Et j'attendis.

Mon coeur battait la chamade. Je l'entendais. Ma respiration aussi. 
Tambours et ouragan dans cet espace confiné. J'attendais.
Je fermais les yeux, j'essayais de me calmer. J'attendais.

Un grand bruit soudain. Comme quelque chose d'énorme tombant dans l'eau. Quelque chose ? La caisse ?
Puis le bateau se mit à tanguer sous l'impulsion des remous.
Des gens hurlaient au dehors, glapissaient, s'agitaient, couraient sur le pont du bateau.
Je retenais ma respiration pour mieux entendre.
Cela criait encore mais moins fort.
Puis un bruit de pas.
Un toc toc sur la paroi, un chuchotement. 
"C'est fait Kendra. Dors bien et à demain. Nous avons réussi à  garder notre mascotte, à garder notre petite putain."

Ce fut comme un premier soleil de printemps, après les courtes journées tristes et grises d’un hiver qui n’en finit pas.
Bien que enfermée dans la double paroi, cadenassée, enchaînée, bâillonnée, j’étais délivrée de ma terreur. 
Quels que soient les jours, les mois à venir, je sus que j’étais sauvée.

Je sus que j’étais libre


 
 
  FIN

Texte et images de Agnes